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Tendue entre Liban et Israël, Blue Line vibre sous haute surveillance.

Frontière-barrière créée un jour de juin 2000, après le retrait israélien du Liban.

Les casques bleus de la Finul se sont déployés dans cette zone libérée.

Bleue de pensées amères, bleue de rêves piétinés, la démarcation sépare, elle garantit.

« Ce n’est pas une couleur, c’est un sentiment, un champ qui se confond avec la mer. La Méditerranée, apparemment calme et paisible… Réellement agitée de l’intérieur par des violences où le sang des hommes est généreux » écrit Tahar Ben Jelloun.

Jul et Jean-Marc Collet, soldats et poètes disent vrai : leurs vers tiennent parole. Ils relatent l’ivresse de la mélancolie, la violence facile et sordide.

Ils nous livrent leurs mots bleuis par la perte de repères. Ils n’ont pas hésité à franchir le pas, les yeux rivés à la mer. Ils ont tenté de promettre un avenir en décryptant la paume de leurs mains.

Au premier plan, leurs vers se répondent comme dans un choeur antique.

Beau, tragique, flamboyant.

 

Danièle Frauensohn

Blue Line.
 

Quel étrange titre, n'est-il pas ?
Successeur de Levantine, ou complément, à vous d'en décider à sa lecture, Blue Line a une histoire..
C'est même à vrai dire plusieurs histoires en une. Une arborescence d'histoires qui s'emboîtent comme des poupées gigognes, et qui a donné vie à ce magnifique recueil.

Pour commencer, cette histoire audacieuse d'une maison d'édition qui donne, (prend ?), sa chance à deux poètes soldats. L'esprit de Poulet-Malassis aurait-il saisi Cécile Langlois ?

Blue Line.
Pour celui qui ne s'est jamais rendu au Liban, qui ne connaît pas la tragédie humaine que le Liban a traversé au XXe siècle, ce titre ne signifiera rien.
Rien de tangible, sinon une superbe reproduction de toile en couverture, un littoral méditerranéen, du bleu à la manière si l'on peut dire de Klein, et un fond blanc pour le soutenir, en contrepoint de la haine que les guerres successives ont disséminée.
La France au Liban ensuite. Il conviendra de se souvenir que cette connexion nous transporte loin dans le passé, au XIXe siècle. Puis au début du XXe quand la France partageait son modèle de Constitution. La participation de la France à la Finul enfin nous renvoie à 1978.

Poursuivons. C'est l'histoire avant tout d'une rencontre, sur fond de mission militaire, au sud-Liban, dans le cadre du mandat de l'ONU, la Finul. D'une infirmière militaire, et d'un soldat, officier d'état-major.
Tout deux passionnés par leur métier.
Tout deux passionnés de littérature, de relations humaines.
Et tout deux possédés par la poésie.
Une histoire à la Lelouch, deux itinéraires qui se croisent au carrefour de leur mélancolie, d'une passion, le vers, d'un mouvement commun, la liberté, et de ce beau pays qui les accueille pendant quatre mois.
L'histoire d'une Amitié entre deux frères d'armes.
Étonnamment, c'est l'idée d'écrire ensemble qui s'est imposée à eux plutôt que l'idée de se lire des textes, fussent-ils les leurs. Et d'y consacrer des soirées de concentration, au préjudice de leur repos.
Le vers n'attend pas, n'attend plus. Ce qui ferait songer dans une certaine mesure à ce que dit Jacques Chessex quand il se prend à écrire : "ce n'est pas moi qui l'écrit, c'est le poème qui s'écrit", et pour eux, n'en doutons, c'est ainsi que les choses ont pris forme, que cela, Blue Line, s'est concrétisé. Nos poèmes nous ont forcé la main.

L'histoire d'un questionnement encore : qu'est-ce qui pousse des militaires à se convertir à la poésie ? Peut-être sera-ce une façon pour le soldat, seul face au monde et à ses réalités tragiques dans l'isolement de la mission, l'éloignement de la famille, de se retrouver, de n'être plus seul, d'être face à soi ? De se réapproprier son langage ? De renaître à sa Nation ?

L'histoire d'un espoir. Celui-ci de partager une expérience que seul le soldat vit et que pourtant le citoyen pourrait apprécier l'avantage d'en connaître.

L'histoire d'un miracle, aussi au demeurant, quoique pas tout à fait abouti, celui de la diffusion de l'écriture, cinq mille ans, de la réalisation de projets collectifs surplombant des amitiés, de la sauvegarde des connaissances, de la réussite du vivre-ensemble... ou à peu près... Et tant d'autres choses... En fait " L'écriture participe d'une sorte d'alpinisme analogique qui permet une transformation de l'être entier en homme nouveau, universel, capable de se dissoudre dans l'un." Yves L'éclair à propos de René Daumal.

Mais c'est encore l'histoire d'un mot abandonné au show-business, et par les experts du management.
"Vocation". Un mot désuet, que certains voudraient recouvrir d'un voile pudique en guise de linceul, pour lui préférer le mot métier.
Oxymore que cette expression "métier des armes" puisque ce qui contribue à l'art du soldat, c'est la répétition des missions, la répétition d'expériences uniques, l'acquisition des savoir-faire nouveaux qui se superposent les uns sur les autres à chaque engagement, la géographie, les coutumes, la brutalité ; l'expertise qui n'est toutefois jamais un rempart contre la mort.
Il y a aussi la vocation de l'adversaire dans cette équation.
Non le métier des armes ne s'enseigne pas à l'université. Il s'apprend chaque jour. Comme la poésie.

Il a été question plutôt de ce saisissement de la poésie.
Derrière ce mot nulle crainte !, nulle tentative hautaine ou élitiste ! Notre poésie n'en est pas moins lisible, simple, accessible.
"Classique" par certains aspects, l'alexandrin de Jul, et non conventionnelle comme les combats actuels au Moyen-Orient, car ne prenant pas appui sur un jeu de pied, mais un jeu de jambe de boxeur, et un pas cadencé, chez JMC.
Oui il y a une manière de dynamisme, ici, au cœur de ces lignes bleuies par les reflet et reflux de la mer, tracées sur la page des ressentiments, de l'inquiétude, de la désespérance aussi que jamais cela ne cesse ce conflit, face à l'absurde où tant d'hommes puisent le fonds de leur intelligence. Un puits sans fond de douleurs terribles. "Langue simple et solide comme les ouvrages en béton armé" (H. Guilbeaux).
À refuser du sens au mots au prétexte de la poésie, c'est son âme que l'on refuse à l'homme. Et la guerre à cœur joie. Et la mort, et festin des vautours.

Leur but du reste, et pour autant qu'il leur ait été possible de l'entrevoir, et s'il était à surligner, pour aider les théoriciens des mouvements poétiques, consisterait à faire connaître le soldat de France, ces talents particuliers qui ne consistent pas seulement à faire le coup de feu ; à ne pas s'en soucier uniquement dans la cour carrée des Invalides au moment de l'oraison funèbre et de la dépose du Drapeau, ardent et aux plis gonflés des larmes des familles, sur le cercueil, mais à rappeler que le soldat de France, et ô combien plus que Rodrigues, a du cœur.
Et certainement pas à "se mettre en grève de la société " comme Mallarmé. Si certains d'entre eux, soldats, sont poètes, cela ne laisse pas de surprendre, mais "c'est un peu court, en somme" et oublier un peu vite qu'ils sont façonnés de chairs et d'émotions. L'homme d'épée peut, doit s'assumer homme de plume également. La tradition est étoffée en ce domaine.

Quand il s'agira du style, laissons la poétique aux savants de La Sorbonne, et rendons la poésie aux poètes. La poétique, c'est de l'idéologie où les idées se sclérosent aussitôt formulées, et plus encore une fois acceptées, s'évaporent au fil du temps ou perdent leur couleur. La poésie c'est du langage qui circule et se partage. Leur parti est pris. Jamais celui de la haine. Ils laissent cela aux frustrés et barbares, souvent les mêmes notons-le. Ils n'appartiennent qu'à eux-mêmes tout serviteurs de l'État qu'ils fussent.
D'ailleurs être poète ?, n'est-ce pas de l'ordre de la déclaration d'intention, une révérence à sa langue, une posture au monde, l'appropriation de la langue, de sa langue, bien plus que d'une technique ou de la mesure des pieds. Le soldat marche au pas comme le vers marche aux pieds. Et fonctionne au doigt et à l'âme.

Le coup de poing a été évoqué plus haut.
Au Liban, toutes les actions médiatisées sont de cet ordre : attaques surprises, attaques terroristes, raids, représailles, expansion de la violence comme une matière noire qui engloutirait toute capacité à vivre ensemble. Notre Blue Line ne pouvait échapper à cet environnement dramatique et cruel, et sans fin, sinon un jour à venir, comme un beau livre, de la bonne volonté des uns et de l'arrêt de l'ingérence des autres.
Le poète a ce droit à la candeur. Elle est son flambeau, sa menorah pour éclairer sa marche.

Force sera de constater que ce que l'on découvre aux entour d'un texte, dans Blue Line, c'est certainement l'amour des femmes et des hommes que ce métier offre l'opportunité de rencontrer.
Là-bas. Ailleurs.
Hier, plus tard, demain.
Ciel bleu, mer indigo.
De l'étrangère, du rebelle. Fussent-ils soldats de France, nous n'en sommes pas moins riches.

Nos vers s'alimentent de cette fraternité, à nourrir encore et toujours.
Au Liban, nous sommes soldats de la Paix et Poètes dans la guerre.

Blue Line
http://editionslangloiscecile.fr/…/081d8df6-b120-49…/fr_FR/…

Et retrouvez Levantine,
http://editionslangloiscecile.fr/…/081d8df6-b120-49…/fr_FR/…

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